Poeme Amour
Vous n'avez pas eu tout patience
Vous n'avez pas eu toute patience, Cela se comprend par malheur, de reste. Vous êtes si jeune ! et l'insouciance, C'est le lot amer de l'âge céleste !
Vous n'avez pas eu toute la douceur, Cela par malheur d'ailleurs se comprend ; Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur, Que votre coeur doit être indifférent !
Aussi me voici plein de pardons chastes, Non, certes ! joyeux, mais très calme, en somme, Bien que je déplore, en ces mois néfastes, D'être, grâce à vous, le moins heureux homme.
Et vous voyez bien que j'avais raison, Quand je vous disais, dans mes moments noirs, Que vos yeux, foyer de mes vieux espoirs, Ne couvaient plus rien que la trahison.
Vous juriez alors que c'était mensonge Et votre regard qui mentait lui-même Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge, Et de votre voix vous disiez : " je t'aime ! "
Hélas ! on se prend toujours au désir Qu'on a d'être heureux malgré la saison... Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir, Quand je m'aperçus que j'avais raison !
Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ? Vous ne m'aimiez pas, l'affaire est conclue, Et, ne voulant pas qu'on ose me plaindre, Je souffrirai d'une âme résolue.
Oui, je souffrirai car je vous aimais ! Mais je souffrirai comme un bon soldat Blessé, qui s'en va dormir à jamais, Plein d'amour pour quelque pays ingrat.
Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, Encor que de vous vienne ma souffrance, N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie, Aussi jeune, aussi folle que la France ?
Or, je ne veux pas, - le puis-je d'abord ? Plonger dans ceci mes regards mouillés. Pourtant mon amour que vous croyez mort A peut-être enfin les yeux dessillés.
Mon amour qui n'est que ressouvenance, Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure Encore et qu'il doive, à ce que je pense, Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure,
Peut-être a raison de croire entrevoir En vous un remords qui n'est pas banal, Et d'entendre dire, en son désespoir, À votre mémoire : ah ! fi ! que c'est mal !
Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte. Vous étiez au lit comme fatiguée. Mais, ô corps léger que l'amour emporte, Vous bondîtes nue, éplorée et gaie.
Ô quels baisers, quels enlacements fous ! J'en riais moi-même à travers mes pleurs. Certes, ces instants seront entre tous, Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.
Je ne veux revoir de votre sourire Et de vos bons yeux en cette occurrence Et de vous, enfin, qu'il faudrait maudire, Et du piège exquis, rien que l'apparence.
Je vous vois encor ! En robe d'été Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux. Mais vous n'aviez plus l'humide gaîté Du plus délirant de tous nos tantôts.
La petite épouse et la fille aînée Était reparue avec la toilette Et c'était déjà notre destinée Qui me regardait sous votre voilette.
Soyez pardonnée ! Et c'est pour cela Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil, En mon souvenir qui vous cajola, L'éclair de côté que coulait votre œil.
Par instants je suis le pauvre navire Qui court démâté parmi la tempête, Et ne voyant pas Notre-Dame luire Pour l'engouffrement en priant s'apprête.
Par instants je meurs la mort du pécheur Qui se sait damné s'il n'est confessé, Et, perdant l'espoir de nul confesseur, Se tord dans l'Enfer qu'il a devancé.
Ô mais ! par instants, j'ai l'extase rouge Du premier chrétien, sous la dent rapace, Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge Un poil de sa chair, un nerf de sa face !
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